Pratiquer et apprendre la psychologie du Bouddhisme tibétain et du Boeun

Enseignement laïc par Pascal Treffainguy

La mort


 

 

Considérer la mort est un exercice que peu d'entre nous aiment pratiquer. Ecartés entre nos charges sociales et familiales, d'une part, et notre besoin de divertissement et de compensation psychologique, d'autre part, nous remettons cet exercice au lendemain. Cette attitude désinvolte, mis à part les moments de "cafard" où des idées morbides traversent notre conscience, conduit à ce que nous laissons nous échapper, selon le point de vue du Tantrisme, une incroyable opportunité d'agir sur notre devenir.

 

Pour cette raison, le Bouddhisme va au-delà de la psychologie, telle que nous l'entendons en Occident, pour considérer la vie ... mais aussi la mort. En effet, la doctrine bouddhique envisage des notions de "renaissance" et de "délivrance", qui sont inconnues des psychologues occidentaux. Elle s'appuie pour cela sur une analyse du psychisme humain, et de son contenu au moment de la mort, car c'est ce contenu qui va orienter celui d'un être nouveau à naître. La doctrine de la renaissance ne doit donc pas être confondue avec celles de la "réincarnation", comme l'entendent le spiritisme et le new-age, ou de la "transmigration", telle que la concevaient les Grecs et l'envisagent les Hindous. Sans une vision juste de ces distinctions, il est impossible d'avoir une compréhension claire de la culture himalayenne, et notamment l'institution des "tulku" (les "maîtres renés", terme traduit à tort par "Lamas réincarnés").

 

Pour aborder l'instant de leur mort avec conscience, tout comme ils souhaitent vivre leur existence avec authenticité, les pratiquants du Dzogchen sont invités à étudier les phénomènes qui vont s'y manifester. Ces phénomènes sont en effet sous le même mode de fonctionnement, en cinq Eléments, que notre individualité psycho-physique. L'objectif des pratiquants est de parvenir à une certaine maîtrise du mécanisme de la renaissance, qui permettra d'atteindre divers objectifs : celui de ne pas en subir passivement son fonctionnement au moment de la mort, en orienter les processus pour conférer une existence plus favorable  à un nouveau-né et enfin être soi-même délivré du cycle des existences.

 

La pratique, permettant de se délivrer du cycle des existences, avant même la mort, fait l'objet de divers transmissions depuis le Bouddha. Dans le Bouddhisme du sud-est asiatique, c'est par le respect de règles monastiques, que peut être atteint le "nîrvana" (la cessation des renaissances). Dans le Bouddhisme chinois et japonais, c'est par le développement de la compassion, qui culmine avec l'état de "boddhisattva". Dans l'himalaya, une transmission uniquement orale, dans les lignées de pratiquants du Dzogchen, permet d'activer un mécanisme autonomique de Délivrance. Plusieurs méthodes se présentent donc, selon que l'on s'inscrit dans le Bouddhisme Hinayana, Mahayana et Vajrayana (ou tantrique).  

 

Pour ce qui concerne l'état posthume, le "Livre des morts tibétains" contient la description des transformations de la conscience et des perceptions au cours des trois "états intermédiaires" (Bardö), qui se succèdent de la mort à la renaissance, ainsi que des conseils pour échapper aux renaissances ou du moins d'en obtenir une plus favorable à l'Eveil, à la Réalisation et à la Délivrance : 

- le "chikhai bardo", ou étape du trépas, suit immédiatement la mort : une lumière extrêmement brillante apparait qui est la vraie nature de notre conscience ; la personne suffisamment avancée sur le plan spirituel la reconnaitra et saura se fondre avec elle, et ainsi échapper définitivement aux renaissances. Dans le cas contraire, sa conscience s’estompe totalement pendant sept jours jusqu’à l’étape suivante. 

- le "chonyid bardo", ou étape de l’expérience de la réalité, survient sept jours après l’étape précédente. La conscience se réveille et perçoit un ensemble d'énergies. Ces énergies ne sont généralement pas reconnues et le défunt va projeter sur elles des images mentales, fruits de son passé et de ses propres peurs. Il va donc avoir des réactions émotionnelles inappropriées, qui vont conditionner sa renaissance. Au contraire, le défunt bouddhiste a été entraîné à percevoir ces énergies comme des divinités durant les méditations. Ainsi, ces énergies seront perçues comme 48 divinités bénéfiques et 52 divinités courroucées, qui sont familières et maîtrisées.  Le défunt pourra les démasquer comme des formes de réalité de la conscience et les "prendre pour mères". Il peut, par ce moyen, éviter de poursuivre une nouvelle fois son chemin vers la renaissance, ou se préparer à une plus favorable. En tous cas, il est conscient et actif, ne "subissant" pas passivement ou tragiquement le processus. 

- le "sidpa bardo", ou étape de la renaissance, apparaît après un certain nombre de jours, le défunt acquiert une conscience dotée des 5 sens ; il peut voir sa future famille et circuler dans le monde en traversant les obstacles. Il a ensuite la vision de ses bonnes et mauvaises actions passées, se manifestant comme des lumières blanches et noires, qui seront les particularités de son corps subtil. Puis, il semble au défunt que le "maître de la roue des destinées" (ci-dessous) se saisit de lui et le dévore organe par organe, jusqu'aux os. Il s'agit ici, en fait, d'une perception inversée de la vie foetale, où le corps subtil "se retourne" pour manifester un corps matériel. Enfin arrive le moment de la renaissance, à moins qu'une technique de dernier ressort, dite "obturation de l'entrée de la matrice", n'évite la venue au monde. Celle-ci peut se faire dans l’un des six états de conscience suivants : divin, démoniaque, humain, animal, avide ou torturé. Dans le cas d’une renaissance humaine, la conscience est attirée par la vision du couple parental engagé dans l’acte sexuel.

 

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Avant d'aborder toute cette science, la psychologie bouddhique tantrique, après que le système bouddhique d'analyse du moi ait été intégré (5 agrégats, 9 ego-types, 12 obstacles), propose une étude comparative des diverses conceptions de la mort : nihilisme des matérialistes, éternalisme des doctrines monothéistes, réincarnation du spiritualisme occidental et transmigration des religions de l'Inde. Enfin, la particularité de la vision bouddhique peut être intégrée sous forme d'exercices, où les phénomènes de la mort sont perçus de notre vivant même.

 

Le stade ultime du processus est le "yoga du corps d'arc-en-ciel" ("malugpa", tib.), où le pratiquant dirige ses souffles internes, de manière à libérer un mécanisme spontané de sortie du cycle des existences. Tout comme les cinq Eléments sont apparus dans le vie originel ; de même, ils peuvent disparaître sans laisser de traces. Ainsi, ce yoga vise à un processus, dont la fête de "l'Ascension" des Chrétiens est un héritage, aussi incompris soit-il de nos jours, y compris et surtout par le clergé.

 

Il n'y a pas ici de mystère et il n'est pas demandé d'avoir la foi. De plus, la différence, avec les autres techniques méditatives bouddhiques, est que ce yoga ne demande même pas de volonté personnelle. Une fois son mécanisme initié, il s'auto-alimente et atteint son objectif naturel, de manière spontanée. Cette fin en conscience, aussi curieuse nous semble t-elle, doit donc être considérée avec sérieux et enthousiasme. D'autant que, généralement, nous ne savons pas vivre avec authenticité et que, constamment, nous occultons de notre conscience le moment de notre propre décès. Ainsi, lâchement, nous gâchons notre existence et nous râtons cette formidable occasion favorable, que nous offre, selon le Dzogchen, notre mort.

 

 

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Que se passe-t-il au moment de la mort ?

Mais sait-on au juste ce qu’est la mort (1)

et quand elle apparaît vraiment ?



Les phénomènes psycho-physiques (les cinq agrégats du "moi", qui associent les 5 Eléments à 5 fonctions de la conscience) qui nous constituent naissent et meurent perpétuellement, à chaque instant pendant toute la durée de cette vie. En d’autres termes, la dissolution et la disparition sont sans cesse répétées, pour chaque combinaison psycho-physique momentanée.


A propos de l’instantanéité de l’existence, Buddhagosa a écrit, dans le "Visuddhimagga", Chpt. VIII :

"Au sens absolu, nous n’avons qu’un temps de vie très court. La vie ne dure que le temps d’un unique instant de conscience. Tout comme la roue d’un chariot, qu’il roule ou soit immobile, ne s’arrête jamais que sur un point de la jante. Ainsi, la vie d’un être ne dure qu’un unique instant de conscience. Dès que cesse cet instant, l’être cesse aussi".

 

La biologie nous informe aussi qu’en un an, 98% des cellules de notre corps changent. Ainsi, la mort, en tant que rupture des facultés vitales d’une forme d’existence, n’est que l’interruption temporaire d’une forme, d’une apparence de cette existence ; elle n’est pas l’annihilation complète d’un individu ; elle est, bien plus, la manifestation du passage immédiat à une autre existence.

 

Seules les formes des organismes cessent de fonctionner, mais l’énergie, la soif d’existence inclue dans la force karmique, continue de se manifester dans une autre forme de vie. En conséquence, la loi de cause à effet opère sans interrompre les processus de vie. L’individu est toujours responsable de ses actions et héritera de leurs résultats.

 

En examinant la mort (la conception de la mort dans le Bouddhisme) à l’aide de ces points de doctrine, nous considérons de toutes façons la mort comme un phénomène aussi normal que la naissance. Sur ce sujet, voyons les explications du Bouddhisme, concernant ce qui se passe au moment de la mort.


Généralement, les gens sur le point de mourir, étant physiquement faibles, ne peuvent contrôler ou diriger leurs pensées. Aussi, des impressions provoquées par des événements importants de leur vie présente ou de leurs existences passées, apparaissent activement dans leur esprit, qui se trouve incapable de les rejeter.

 

Ceci constitue les trois sortes de pensées au moment de l’approche de la mort :
1. Le souvenir d’actions importantes, bonnes ou mauvaises, accomplies précédemment ("kamma") ;
2. Le symbole de ces actions ("Kammanimitta"), par exemple, le fusil avec lequel on a tué quelqu’un ;
3. L’image de l’endroit où l’on doit renaître ("gatini mitta"), par exemple le lieu de souffrance extrême ("naraka") pour les meurtriers, ou le lieu bienheureux ("devaloka") pour les généreux.

 

Ces trois objets de pensée, que l’on ne peut choisir consciemment, apparaissent clairement dans l’esprit au moment de la mort. Ces pensées à l’approche de la mort constituent des actions près de la mort ("maranasanna kamma"), influençant et déterminant le caractère de l’existence à venir ; de la même façon que la dernière pensée précédant le sommeil peut devenir la première pensée au réveil.

 

De même, les actions les plus importantes d’une vie ("garuka kamma"), ainsi que les actions habituelles, bonnes ou mauvaises, deviennent les pensées actives et prédominantes dans les dernières minutes. Si quelqu’une de ces actions est absente au moment de la mort, l’action cachée ("katatta kamma") constitue la force, qui produit la naissance. Il y a ainsi quatre catégories d’actions ("Kamma"), qui conditionnent l’apparition des pensées qui précèdent le mort. Après que ce processus de pensée soit apparu dans la conscience directrice ("tadalambana"), dont la fonction est d’enregistrer les impressions réelles, la pensée de la mort ("cuticitta") advient. C’est la fin de cette existence.

 

Du raisonnement aux preuves de "Que se passe-t-il après la mort ?". A ce propos, le Bouddha a exposé la "doctrine de la renaissance". Cette doctrine a son origine dans son Illumination, et non dans aucune des croyances pré-bouddhistes, avec lesquelles elle a souvent été, à tort, confondue.

 

D’après cette doctrine de la renaissance, la mort est une porte, qui s’ouvre sur une autre forme de naissance. Les deux existences sont réunies par la conscience de renaissance ("patisandhi-vinnana"), qui est conditionnée par la pensée précédant la mort ("maranasanna javanacitta"), et qui réapparaît au moment de la conception, c’est à dire avec la formation d’une nouvelle vie dans la mère.

 

Cette conscience est identifiée comme "l’être à naître" (gandhabha). Immédiatement après, elle disparaît dans le courant subconscient de la nouvelle vie (bhevangasota), qu’elle conditionne sans interruption. C’est ainsi la conscience de renaissance, qui détermine le caractère latent d’un individu. Il faut remarquer que le Bouddhisme ne dénie nullement l’hérédité parentale, mais insiste sur le fait que l’hérédité essentielle est la force karmique incluse dans le troisième facteur, qu’on appelle couramment "l’être à naître" ("gandhabha"), de la conscience de renaissance.

 

De la mort à la renaissance, le courant de conscience est transmis sans l’intervention d’aucun intermédiaire (antarabhava). De même, la conscience de renaissance ne transmigre jamais d’une existence passée à une existence ultérieure. Il peut être utile de comparer cela à des phénomènes tels que l’écho, la lumière d’une lampe, l’impression d’un sceau ou l’image dans un miroir. Les deux existences consécutives ne sont ni identiques, ni différentes.

 

Comme la conscience de renaissance est conditionnée par la force karmique, on peut renaître après la mort dans l’une ou l’autre des cinq possibilités suivantes (décrites dans la roue des existences, voir "Les 9 égo-types", icône à gauche) :
1. le lieu de souffrance extrême ; 
2. le règne animal ;
3. les esprits ;
4. l’humanité ;
5. les mondes célestes. 

 

Il est bon de dire, à ce propos, que la doctrine de la renaissance, qui est une théorie de la continuité de l’être après la mort, est différente de la doctrine de la réincarnation (occidentale) ou de la transmigration hindoue ; car c’est en effet une doctrine séparée et tenant le milieu entre les deux extrêmes :

- la théorie de l’éternité ("sassataditthi"), qui admet l’existence d’un ego persistant ou d’une personnalité existant indépendamment de ses processus psychophysiques ;

- la théorie de l’anihilation ("uccedaditthi"), qui à l’opposé, admet l’existence d’un ego (ou d’une personnalité), s’identifiant entièrement à un processus psycho-physique et qui, par conséquent, est annihilé par la mort.

 

La doctrine de la renaissance n’est pas un dogme, qui doit être accepté d’avance, mais plutôt un principe qui peut être vérifié. Les 20 cas de renaissance recueillis et analysés scientifiquement par le Docteur Ian Stevenson du Department of Neurology and Psychiatry School of Medicine, University of Virginia, et publiés sous le titre de "Twenty cases suggestive of reincarnation" (2) en constituent une preuve.

 

 

 

 Note.

(1) Ce texte est tiré du point de vue du vénérable Tich Thiên Châu, moine vietnamien. Les termes sont en pâli, la langue du Bouddha.

 (2) Le terme exact aurait dû être "rebirth" et non "reincarnation", qui est d'origine occidentale et spiritualiste.

Résumé de l'ouvrage à : http://en.wikipedia.org/wiki/Twenty_Cases_Suggestive_of_Reincarnation

 

 

 

Résumé des points de vue.

 

 

 

1. Monothéisme.

Doctrines marquées parfois à tort par l’existence de "l’âme éternelle", entre corps et esprit.

Judaïsme et Christianisme. Les morts dorment jusqu’au retour du Messie, où ils seront jugés et vivront éternellement. L'âme n'est pas éternelle, mais le fruit de la combinaison de l'Esprit divin et de la matière corporelle de l'homme. 

Catholicisme romain. Les défunts sont jugés après la mort par St Pierre et placés en enfer, au purgatoire ou au paradis selon leurs actions, modulées dans leurs effets s’il y a repentance et sacrement.

Islam. Les morts dorment jusqu’au retour du Messie, où ils seront jugés et jouiront le cas échéant d’une éternité dans un paradis. L'âme n'est pas éternelle, mais le fruit de la combinaison de l'Esprit divin et de la matière corporelle de l'homme. 

  

2. Scientisme.

L’être n’est qu’un corps, le processus de la conscience est le fruit de la biologie. Après la mort, tout disparaît et ne laisse aucune empreinte. 

  

3. Spiritualismes occidentaux.

L’âme est éternelle et se réincarne dans plusieurs corps successifs pour atteindre la maturité et devenir l’égale d'un dieu.

Rationalisme cartésien : la conscience s'appelle "esprit" et l'âme est une croyance religieuse. Seule la quantité de matière est la réalité. 

4. Hindouïsme.

Doctrine marquée par l’existence d’un esprit éternel (le soi), au-dessus de l’âme et du corps.

Les morts sont jugés par le dieu Ganesh et envoyés dans un « loka » (on en compte 6). Les justes demeurent sur la Lune, où ils serviront de modèle à la prochaine forme d’humanité, lors du cycle suivant de manifestation, suivant une dissolution du cosmos. Les saints peuvent atteindre l’état de « samadhi », béatitude, et libérer leur soi du cycle des renaissances, sous divers formes de corps générant des âmes. On parle de "Jivatma" lorsque cette libération s'opère du vivant. 

  

6. Bouddhisme.

Le corps, le psychisme (âme) et la nature fondamentale (esprit) sont analysés.

Le corps est organes et fonctions.

Le psychisme est composé de cinq agrégats se recombinant à chaque instant. Ces derniers ont une certaine durée, avant leur disparition, qui fait croire à leur survivance. Introduits au moment de la naissance dans les composantes du nouveau-né, les éléments psychiques survivants donnent une impression de continuité de l’âme, à l’image des gènes communs aux parents et aux enfants. L'impression de moi est une illusion ; tout comme la réincarnation. 

La nature fondamentale - ou esprit - est analysée sous le prisme de trois de ses manifestations : luminance, imminence et radiance. On parle alors de « claire lumière fondamentale », qui est la nature même des êtres. Il est possible de s’émanciper du cycle des renaissances en purifiant les agrégats, pour obtenir leur dissolution finale (« nirvana ») et la cessation de toute manifestation conditionnée de l’esprit. La perception de la claire lumière fondamentale marque le début du processus d’Eveil spirituel, dont le terme est la Libération du cycle des existences conditionnées. Les moyens pour parvenir à cette fin sont multiples, justifiant divers yogas. 

 

 

 

 

 

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